Passer de l’entreprise classique à l’entreprise libérée est enrichissant … et dangereux ! La liberté met chacun au défi de lui-même. Cela peut être source de crainte voire de profondes angoisses. Comment changer de paradigme pour pleinement libérer l’énergie des salariés ?
Dostoïevski disait : « Il n’y a rien de plus séduisant pour l’homme que le libre arbitre, mais aussi rien de plus douloureux. [1]»
La liberté est un espace nouveau, souvent plus large. Elle insécurise car l’on y perd les repères qui étaient les nôtres auparavant. Certains peuvent refuser de changer.
La conception triviale de la liberté est l’absence de règles. Libérer une entreprise pourrait donc inciter à affranchir les salariés des règles. C’est une erreur courante.
Pour pouvoir dépasser les règles, il faut d’abord les avoir clairement intégrées.
Deux dynamiques
La liberté a besoin d’un cadre. Pas de liberté sans la conscience de ses limites. Dans un premier temps, le fait de reconnaître et d’accepter ses limites est nécessaire. Cela permet le processus de réalisation. « C’est au pied du mur que l’on voit le maçon » disait l’un de mes enseignants. Se coltiner avec ses limites permet de les connaître, de se définir, de se construire en réaction. Cela permet aussi d’apprendre à orienter son énergie vers un but cohérent.
La libération de l’entreprise n’exonère pas d’appliquer un management adapté aux individus et groupes concernés. Utiliser à bon escient le management directif, persuasif, délégatif, participatif (cf mon article « adapter son management à l’énergie de ses équipes ».
Dans un deuxième temps, les limites s’avèrent utiles aussi parce qu’elles nous contraignent à nous dépasser pour les dépasser. Combien de femmes et d’hommes au pied du mur se sont rendu compte qu’ils avaient des compétences insoupçonnées ? Combien se sont surpris par leur courage, leur ténacité, leur intelligence, leur créativité quand le besoin s’est fait urgent ?
L’entreprise libérée doit prendre en compte ces deux dynamiques : l’apprentissage du cadre d’abord, puis celui de l’autonomie. Ouvrir brusquement les portes d’une prison vieille de plusieurs siècles peut être violent pour nos mentalités.
Renforcer le cadre
Le Management Natwani préconise donc d’abord de renforcer le cadre, ce dans une logique pédagogique : ce cadre est une étape vers l’autonomie de chacun. Celui-ci n’est pas hiérarchique : il pose les règles qui définissent le plus clairement possible le champ d’action de chacun. Les définitions de fonction, de tâches, les procédures construites avec les agents de terrain sont nombreuses, simples et détaillées. Les objectifs sont clairs (SMART[2]). Les moyens sont explicites et adaptés. Ce cadre strict permet d’intégrer les outils à disposition pour la réalisation des objectifs.
La liberté comme une autonomie
Le Management Natwani préconise ensuite de concevoir la « liberté » comme une « autonomie ». Cette autonomie se construit elle-même en deux temps :
- Le temps de l’autonomie d’actions. Le cadre est intégré ou en train de l’être. Les objectifs et les moyens définis par la hiérarchie (encore présente) sont clairs, adaptés et suffisants.
- Le temps de l’autonomie d’objectifs. L’énergie de chacun ne se développe pleinement qu’en réalisation de soi. Cela implique de définir soi-même ses objectifs. Cela implique aussi une conscience de soi. Les techniques orientales, notamment la méditation, nous apprennent que la conscience de soi implique rapidement l’empathie et la conscience de l’Autre, de tout son environnement. Amener une personne à avoir plus conscience d’elle-même et à définir ses propres objectifs ne produira donc pas un monde d’égoïstes anarchiques. C’est bien l’entreprise classique et ses carcans qui induit cela au contraire.
Peut-on rendre libres des salariés qui ne le sont pas ?
Nous sommes chacune et chacun prisonniers de nos histoires, de nos peurs, de nos conditionnements. Cela a un impact sur notre action au sein de l’entreprise. Celle-ci peut constituer une cadre face auquel chacun a l’opportunité de construire sa liberté individuelle. Pour cela, elle doit nous proposer des règles à intégrer.
Les salariés des entreprises libérées ne suivent pas des règles, ils les ont intégrées à titre personnel et savent les dépasser.
Peut-être est-ce une raison expliquant le mieux-être reconnu des salariés au sein des entreprises « libérées ».
[1] Les Frères Karamazov, V, V : « Le Grand Inquisiteur »
[2] SMART : Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes, dans un Temps précis.